Les élu⋅es étudiant⋅es alertent l’ensemble de la communauté de l’ENS de Lyon sur la nécessité de refonder l’organisation des scolarités dans l’établissement, qui piétine les droits et la santé des étudiant⋅es.
Des dysfonctionnements inquiétants et persistants
L’accompagnement des étudiant⋅es lors de la campagne de plan d’études 2023 – 2024 a été l’occasion pour nous, comme chaque année, de nous confronter à un nombre important de situations problématiques, dont la régularité comme la nature mettent à jour des dysfonctionnements importants dans le système des études.
Ces dysfonctionnements ne sont pas récents, et ont été dénoncés à de nombreuses reprises tant par les listes qui nous ont précédés que par certains membres des équipes pédagogiques. Ils trouvent leur origine dans une organisation extrêmement centralisée et pyramidale, qui a perduré du fait du désintérêt manifeste de la précédente présidence pour les scolarités, et de la défaillance des instances qui n’assurent pas leur rôle de lieu où doit être débattue et définie la politique de l’École sur ces questions.
La gestion verticale des plan d’études prévoit une validation en dernière instance par une seule personne, la Vice-présidente aux études, dont l’autorité pour accepter ou refuser un projet est de fait absolue. Cette situation conduit, entre autres, aux dérives suivantes :
- Les refus par la VPE de certains plans d’études ne s’appuient souvent sur aucune règle existante autre que sa conception propre des parcours appropriés à une scolarité normalienne. De ce fait, une confusion est entretenue entre ce qui relève d’une impossibilité administrative réelle, et ce qui relève d’un désaccord : des parcours envisagés sont refusés car prétendument « impossibles », sans qu’aucune règle ne semble s’y opposer. De là, nécessairement, une forme d’arbitraire dans les décisions, et il n’est pas rare de voir refusé un plan d’études quand un parcours similaire avait été autorisé les années précédentes.
- L’appréciation de la VPE intervenant en dernière instance, et portant sur l’ensemble du projet, l’avis des équipes pédagogiques se trouve grandement déconsidéré, et leur compétence remise en cause. Il n’est pas rare en effet de voir l’ensemble des enseignant⋅es entourant l’étudiant⋅e et jusqu’au directeur ou à la directrice de département approuver un projet, qui se retrouve pourtant refusé par la VPE, pour cause de désaccord avec la formation envisagée.
- Cet état de fait amène parfois les équipes pédagogiques à se tourner vers la VPE pour récolter son avis en amont de leur propre validation du plan d’études. Lorsque cet avis est négatif, les équipes pédagogiques font part à l’étudiant⋅e d’une « impossibilité » et tentent de lui faire modifier son plan d’études avant même une première soumission. Il arrive même, dans certains cas, que les équipes pédagogiques refusent un projet en présageant de ce que sera l’avis de la VPE, s’appuyant sur leur connaissance de situations analogues. Là encore, cette pratique est problématique, puisqu’elle conduit à ce que ni le souhait de l’étudiant⋅e, ni l’avis de ses enseignant⋅es sur la cohérence pédagogique du projet ne soient récoltés à un moment du processus — de plus, aucune trace ne demeure du refus initial de la VPE d’un tel projet.
- Plus inquiétant encore, des personnes subissent de vives pressions de la part de l’administration pour modifier leur plan d’études. Ces pressions ont notamment lieu lors d’appels téléphoniques ou de rendez-vous qui n’ont d’autre objet que d’obtenir une capitulation de l’étudiant⋅e. Si cellui-ci tient la pression, alors le plan d’études a des chances d’être accepté : preuve s’il en fallait que les refus ne sont pas motivés par des impossibilités administratives.
- Ces pressions portent souvent sur une conception élitiste de ce que doit être la scolarité normalienne : incitation à passer l’agrégation plutôt que le CAPES, à effectuer une année qui apparaît comme plus prestigieuse qu’une autre, même si elle ne correspond en rien au projet de l’étudiant⋅e… Elles s’apparentent à une démarche qui peut se vouloir bienveillante, mais qui n’en demeure pas moins paternaliste dans la mesure où il s’agit de considérer que l’étudiant⋅e n’est pas lae mieux placé⋅e pour savoir ce qui est bon pour ellui.
- Enfin, nous tenons à souligner une pratique qui viole les droits des étudiant⋅es, et sur laquelle nous souhaitons particulièrement attirer l’attention des enseignant⋅es afin qu’iels s’y montrent vigilant⋅es : il s’agit d’imposer aux étudiant⋅es des parcours comprenant une année de césure utilisée pour réaliser une partie de leur scolarité normalienne. Nous rappelons que les étudiant⋅es n’ont droit qu’à une année de césure. S’iels peuvent choisir de l’utiliser pour suivre une formation complémentaire, ou approfondir un aspect de leur formation, il est inadmissible que l’administration de l’ENS utilise cette année pour absorber les problèmes d’organisation des scolarités en allongeant la scolarité des étudiant⋅es, et en leur imposant de sacrifier cette année à laquelle iels ont droit pour satisfaire à certaines exigences.
Si les étudiant⋅es du site Monod ne sont pas complètement épargné⋅es par ces problèmes, nous notons que ce sont avant tout les étudiant⋅es du site Descartes qui y sont confronté⋅es. Iels se voient proposer des montages invraisemblables, impliquant parfois des inscriptions dans d’autres établissements, afin de contourner des « impossibilités » dont la source reste mystérieuse. Ces situations génèrent inquiétudes et incompréhensions.
Des conséquences délétères pour les étudiant⋅es
La verticalité dans la gestion des scolarités est particulièrement délétère pour les étudiant⋅es. À leur contact tout au long de l’année, nous avons pu en constater les effets.
- Les étudiant⋅es sont mis⋅es dans une insécurité forte vis-à-vis de leur avenir. Iels ne savent jamais, jusqu’au dernier moment, si leur projet sera accepté et il n’est pas possible pour elleux, au cours d’une année universitaire, de se projeter pleinement dans l’année suivante. L’absence de règles claires rend impossible la connaissance des parcours qui sont réellement envisageables ou non.
- La campagne de plan d’études est liée à un stress intense, dû notamment à la pression qui est mise sur le choix des parcours. Il n’est pourtant plus besoin de prouver que la santé mentale à l’ENS est considérablement dégradée : ce fait a été mis en lumière par des enquêtes menées par les élu⋅es étudiant⋅es comme par l’administration.
- De la même manière, nous alertons sur le fait qu’obliger les étudiant⋅es à suivre des cursus, souvent très exigents, qu’iels n’ont pas choisi, contribue à leur mise en danger.
Nos revendications : horizontalité, débat et collégialité
Ce constat que nous établissons ne vise en aucun cas à mettre en cause des personnes particulières. Il s’agit bien d’une organisation que nous dénonçons, et dont la refonte est une urgence de longue date, afin de mettre fin à des situations qui se reproduisent inévitablement d’année en année. Des changements doivent être mis en place, tant sur les procédures que sur les méthodes d’administration.
- Avant toute chose, nous souhaitons rappeler que les étudiant⋅es sont majeures, adultes et libres de faire leurs propres choix concernant leur formation et leur orientation. Si l’une des missions de l’École est bien d’informer sur les voies possibles, et de faire apparaître leurs avantages respectifs, il est inadmissible que les étudiant⋅es subissent une pression sur leur orientation sous prétexte que, dans un geste paternaliste, l’administration de l’École a décidé qu’un autre parcours serait meilleur pour ell⋅eux.
- Nous demandons une gestion horizontale des scolarités, avec une séparation stricte entre le rôle de l’équipe pédagogique assuré par les enseignant⋅es et lae directeur⋅ice de département, et le rôle de l’administration assuré par la VPE. L’équipe pédagogique est la seule à même de se prononcer sur la faisabilité et la cohérence pédagogique du parcours, ayant une connaissance fine des formations qu’elle encadre, de leurs enjeux et de leurs débouchés. Le rôle de l’administration ne peut en revanche excéder le contrôle strict de l’absence d’incompatibilité du projet avec une règle administrative, c’est-à-dire issue des textes législatifs ou réglementaires, ou de textes adoptés régulièrement par les instances compétentes de l’École. Il est nécessaire également de prévoir une procédure applicable en cas de litige entre l’étudiant⋅e et son équipe pédagogique, qui fasse intervenir différents points de vue.
- Cette refonte des scolarités ne peut faire l’économie d’une réflexion sur le diplôme de l’ENS et sa compatibilité avec les différentes formations. Les étudiant⋅es, particulièrement à Descartes, paient trop souvent le prix de l’absence d’ajustement entre leur parcours et le diplôme, allant jusqu’à devoir prendre des années de césure spécifiquement pour pouvoir les concilier. Cette situation est inacceptable et aurait dû devenir une priorité dès qu’elle s’est présentée, au début de la mise en place du diplôme.
L’ENS de Lyon est à un tournant. Avec l’arrivée tant attendue d’une nouvelle présidence, les prochains mois seront décisifs : prendre les bons virages ou retomber dans les impasses que nous n’avons que trop explorées. Nous avons longuement échangé avec le nouveau président. Nous sommes reconnaissant⋅es de son écoute, et nous attendons à présent de sa part des engagements concrets sur la refonte des scolarités.
Ces changements nécessaires n’auront une réelle efficacité que si un changement de culture s’instaure à l’ENS. Cette École, dont l’organisation profondément anti-démocratique repose sur un CA où les nommé⋅es sont majoritaires, a pris depuis trop longtemps l’habitude d’écarter la communauté de l’École de décisions qui la concernent, en ignorant ses alertes et méprisant ses élu⋅es. Il est nécessaire de raviver le débat : cela passe par le réinvestissement du rôle politique des instances, mais aussi par la possibilité donnée à chacun⋅e de se saisir des problèmes. L’École doit prendre l’habitude d’une élaboration collégiale des lignes directrices qu’elle veut tenir.
Nous le redisons, la fin de la gestion des scolarités et des plans d’études telle qu’elle fonctionne aujourd’hui est une urgence, afin de ne pas continuer à sacrifier année après année des étudiant⋅es qui ne parviennent pas à faire valoir leurs droits. Cette question doit être traitée en priorité : parce que la mission première de l’École est de permettre une formation de qualité, mais aussi parce que l’assurance d’un système juste et bienveillant envers les étudiant⋅es constitue la meilleure prévention que nous puissions mettre en place contre la dégradation de la santé mentale à l’École.
Nous nous tenons à la disposition des étudiant⋅es et enseignant⋅es qui souhaiteraient échanger avec nous sur ces questions.